Samedi, je suis allée porter des légumes et des fruits à mes beaux-parents, « population à risque » qui reste donc scrupuleusement à son domicile. De chez moi jusqu’à chez eux, il y a à peine 10 minutes de voiture. He bien ces 2×10 minutes ont réussi à me filer un bourdon gigantesque. 
Pourtant, au départ, l’idée me séduisait plutôt : rendre service certes mais aussi, soyons honnête, la perspective de passer 20 minutes seule, soustraite au bruyant confinement familial. 

Il n’en fut rien. Au contraire, le trajet fut atroce. Il faisait gris, froid, venteux. Il n’y avait personne, absolument personne. Le vide. Le néant. Comme dans un mauvais film de catastrophe, qui est devenu réel. Les seules vies humaines que j’ai vu sont deux camions de CRS remplis et un policier armé devant un bureau de tabac. L’absence totale de vie dans les rues et sur la route m’a fait changer de point de vue. Quelle perturbation de voir qu’il y a plus de vie chez moi que dehors… 

En yoga (je traiterai ici des Yoga-Sûtra de Patañjali), il y a un concept fort : les dvanva. On pourrait traduire ce terme par « paires d’opposés » . Le texte propose donc les « dvanva » suivants : gauche/droite ; haut/bas ; avant/arrière. 
Aujourd’hui, le confinement m’amène à considérer une autre paire d’opposé : dedans/dehors. À la maison/dehors ; seul/avec les autres ; en soi/hors de soi. 

Nous n’avons jamais eu autant d’informations et de contacts disponibles à portée de clic. Outre les réseaux sociaux, citons les musées du monde entier qui dévoilent leurs œuvres, les artistes qui jouent en live quotidiennement, les tutos yoga, méditation, arrachage de moquette, réussir son démarchage commercial en période de crise, la liste est infinie. Tout pour avoir l’impression d’être en relation. Pourtant, nous ne nous sommes jamais senti aussi isolés, vulnérables, dépendants, interdépendants. Le fossé entre le dedans et le dehors est immense. 

Que nous propose alors le yoga, dans cette situation ? Les yoga-sûtra proposent un travail pour mettre en relation ce qui semble être deux directions opposées. Les directions restent, elles ont chacune leur existence propre, mais elles ne sont plus contradictoires. La relation entre les directions devient une donnée de l’équation, qui évolue de dualité à triangulation. Un équilibre se créé grâce à cette relation. 

Comment, par quel moyen ? Le texte propose de cultiver dans le même temps la stabilité et la détente. Ces deux caractéristiques sont données au départ pour la pratique des postures de yoga : « la posture doit être ferme et agréable » (sutra II.46). Comme le précise ma formatrice Sandra Ermeneux, ça ne veut pas dire 50% ferme et 50% agréable. Elle doit être 100% de chaque. 

Ces 2 qualités se répondent : d’un côté la fermeté, la vigilance, la rigueur, la stabilité ; de l’autre l’aisance, le confort, le plaisir. C’est parce qu’on est « confortable » qu’on peut être stable ; c’est parce qu’on est suffisamment stable qu’on peut être dans l’aisance. 

Bien sûr par posture nous devons entendre aussi « attitude » : « une attitude de l’ensemble de la personnalité, dans la pratique posturale comme dans la vie quotidienne » (Frans Moors). 

J’ai l’impression que plus que jamais, la période actuelle actuelle nous pousse à développer nos capacités de stabilité. À rester fermement ancré. À cultiver l’endurance. Sans pour autant tomber dans l’apathie. Chaque jour qui passe peut nous amener à se poser la question de notre équilibre personnel entre stable et agréable. 

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